LE CANAL DE LA MARNE AU RHIN A NANCY


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La Meurthe

La Meurthe, essentiellement utilisée pour le flottage des bois en provenance des Vosges, était navigable à partir de Nancy vers son confluent avec la Moselle à Frouard. L'établissement des bateaux à vapeur de Metz à Nancy a amené de notables améliorations au trafic.

Voici ce que rapporte le journal de l'époque : « Le 20 avril 1841 par un beau soleil, c'était le baptême du bateau à vapeur le «Stanislas», amarré avec l'Austrasien au port de Crône, près des arches du pont de Malzéville. Le préfet, l'évêque consécrateur, le maire de Nancy prononcèrent des discours, après quoi, les embarcations descendirent la Meurthe jusqu'à Champigneulles au son de la musique du 7ème léger » Le peu de profondeur du lit de la rivière fit abandonner le service des inexplosibles de Metz à Nancy .. Ils transportèrent au mois de juin 1843, 3 555 voyageurs.

Au XIXème siècle, la plus importante voie de navigation est sans conteste le Canal de la Marne au Rhin. Son principal concepteur, l'ingénieur en chef Charles Etienne Collignon disait : c'est une des plus grandes et des plus fécondes entreprises de l'époque actuelle (1841). Tracé à travers des contrées fertiles, à portée d'immenses forêts, dans un pays où un si grand nombre de belles usines luttent avec tant d'efforts contre les difficultés et le prix élevé des transports, il a encore ce singulier avantage peut être unique jusqu'ici, qu'il traverse à angle droit depuis le canal de l'Aisne à la Marne jusqu'au Rhin, huit communications navigables, rivières ou canaux, toutes très importantes.

Le canal de la Marne au Rhin qui doit rendre à la Lorraine et à l'Alsace de si importants services, n'est encore que le tronc d'un vaste système dont les rameaux viendront s'y rattacher dans un avenir très prochain. D'ailleurs son influence n'est pas circonscrite aux limites de notre territoire, il doit étendre fort au-delà sa mission de paix et de civilisation, ouvrant une communication navigable directe entre le Havre et Strasbourg, il fournira la ligne de transit la plus courte et de beaucoup la moins dispendieuse entre l'Océan et le Rhin supérieur, et il appellera prochainement par la France les rapports de l'Atlantique avec l'Allemagne méridionale.

Ainsi, d'une part, il ajoutera à l'importance de nos ports de l'Océan, donnera à l'activité de notre marine un nouvel aliment; et d'un autre côté, il prépare et pour un avenir qui ne peut plus être éloigné cette grande opération de la jonction du Rhin au Danube qui doit réaliser la plus belle navigation intérieure que l'Europe puisse posséder.

En prononçant ces paroles, lors de la pose de la première pierre du pont canal de Liverdun, Charles Etienne Collignon mettait en exergue le rôle européen du canal de la Marne au Rhin.


Le projet de canal de la Marne au Rhin entre Liverdun et St Nicolas de Port
Le projet de canal de la Marne au Rhin entre Liverdun et St Nicolas de Port

La rive gauche de la Meurthe au début du XIXème siècle

Lorsqu'on examine les plans de l'époque, il ressort que l'espace, situé entre les murs de la ville et la rivière, est peu ou pas occupé.

Le premier cadastre, dit de Napoléon, terminé vers 1830 apporte beaucoup de précisions sur cette occupation.

Les traces des anciennes fortifications détruites un siècle et demi plus tôt par ordre de Louis XIV, restent apparentes dans le parcellaire, les bastions, les demi-lunes, tous ces ouvrages ont marqué à jamais les limites de propriété.

Sur le territoire de la commune deux ponts seulement franchissaient la Meurthe, que l'on peut également traverser en utilisant le bac vers Tomblaine. Le pont de Malzéville est l'ouvrage à la fois le plus ancien et le plus important. Le pont d'Essey a été créé lors de la réalisation de la route Nancy/Château Salins sous le règne du duc Léopold.

Les voies sont peu nombreuses, la route de Château Salins déjà citée relie la porte St Georges au pont d'Essey, le prolongement de la rue Ste Catherine dans le faubourg du même nom s'arrête à la morte de la Meurthe, en un lieu appelé le pont de la Croix.

Le chemin des Jardiniers avec son tracé anguleux, qui suit les terrassements des fortifications, dessert les espaces maraîchers établis de part et d'autre depuis le mur d'octroi jusqu'aux grands espaces de la Prairie.

 

Plan de Nancy par Guibal 1844
Plan de Nancy par Guibal 1844


Près de la porte St Georges, il rencontre le chemin du Tapis Vert qui va se perdre dans la Prairie, le chemin des Cinq Piquets le prolonge jusqu'au fleuve. Cette appellation de «Cinq Piquets» serait due à la présence de pieux plantés dans le lit de la Meurthe et qui servaient à fixer les bois de flottage en provenance des Vosges.

Cet endroit deviendra après 1770 un lieu de baignade fort apprécié des nancéiens.

Un autre chemin quitte également celui des Jardinier dans sa partie sud pour se diriger vers le bac de Tomblaine, il doit son nom de «Chemin des Sables» au fait que depuis toujours l'endroit servait de sablière. Son tracé est aujourd'hui celui de la rue Molitor, de la rue de Bitche, et, au delà du canal, de la rue du Baron Buquet. Plus au nord, la rue des Tanneries permettait d'accéder depuis la porte Ste Catherine aux Grands Moulins.

Cet établissement industriel, très ancien, remonte au Moyen Âge. Depuis le pont de Malzéville un chemin portant son nom y conduisait en décrivant une large boucle en dehors des marécages, ce sont aujourd'hui les rues Charles de Foucault, La Flize, et Gilbert de Pixérécourt.

Près des Grands Moulins, il y avait en 1830, le moulin de la Poudrerie (emplacement de l'air liquide) et le moulin de la machine sur la rive de St Max.

Une dernière voie, suivait le ruisseau de Boudonville et conduisait du Faubourg des Trois Maisons sur les bords de la Meurthe, elle correspond au tracé de la rue Vayringe. Tous ces espaces étaient à usage de jardins maraîchers les «meix» ou de prairies aux noms pittoresques: le Badi, le Pré Vitrimont, les Penneteries, les Prés à boire, le Meix Cibile, le Meix le Saulnier, les Marsouins etc ...

À l'exception des prairies prés de la Meurthe, le parcellaire présente de multiples bandes de terrains étroits témoignages de partages et héritages successifs.

Juste en aval du pont de Malzéville, le chemin du Crône conduisait à l'unique «port» sur la Meurthe. Le vocable du lieu proviendrait de la présence d'une grue établie depuis fort longtemps pour décharger les barques des transporteurs.



C'est depuis cet endroit, que les deux «inexplosibles» (bateaux de voyageurs à vapeur) allaient conduire à partir de 1841 les nancéiens vers Metz, liaison qui ne fut qu'éphémère.

Le chemin de Malzéville reliait la porte de la Citadelle au pont et au Crône.

Le quartier situé entre cette voie et la Pépinière s'appelait les «Buttes» en témoignage des levées de terrains qui formaient les défenses avancées de la Citadelle.

À l'angle nord de la Pépinière un vaste espace portait le nom de château Grignon (emplacement de l'ancienne usine à gaz). Il n'y a certainement jamais eu de château à cet endroit nommé ainsi par dérision. Il s'agissait probablement d'une maison discrète qui favorisait au XVIIIème siècle les rendez-vous galants, ou d'un lieu de repos des adeptes du «tir au papagaï», sport fort prisé à cette époque, une sorte de «ball trapp» avant la lettre que les terrains accidentés des Buttes rendaient très attractifs.

Entre la Pépinière et les Grands Moulins, s'étendaient de vastes prairies. La rue des Tanneries qui reliait la porte Ste Catherine aux Grands Moulins desservant de longues parcelles au sud desquelles s'élevaient les maisons de tanneurs avec leurs séchoirs et qui s'ouvraient à l'arrière sur le ruisseau St Jean, rebaptisé à cet endroit ruisseau des Tanneries.

La prairie située entre le route de Château Salins et le chemin des Sables est divisée en vastes «cantons» de forme rectangulaire dont les génératrices sont parallèles à la route, rompant ainsi avec le quadrillage orthogonal de la ville de Charles III.

Ces terrains marécageux étaient encore traversés par des «mortes» laissées par la rivière au cours des temps. Elles seront comblées petit à petit durant le siècle.

Près de la porte St Georges et hors les murs des constructions s'alignaient déjà le long des principales voies : la rue de l'Isle de Corse, la route de Château Salins, la rue du Tapis Verts. C'est à l'extrémité de cette dernière qu'Henri Loritz créera la première école technique, l'institut St Joseph.

Plus au sud, à l'angle de la rue des Jardiniers et du chemin des Sables, le cimetière St Nicolas ouvert en 1774 occupait l'emplacement actuel de l'hôpital St Julien, il sera désaffecté à partir de 1879.

Au delà du chemin des Sables en direction de Jarville, l'espace était beaucoup plus restreint. À cette époque le lit de la Meurthe était beaucoup plus à l'ouest qu'aujourd'hui, puisqu'à l'emplacement actuel du canal. Ces terrains, aujourd'hui traversés par le boulevard Lobau, étaient à usage de prairie, le plus vaste, situé près du ruisseau de Nabécor, s'appelait le près de l'Hospice.

La rue du bord de l'Eau (Mansuy Gauvain) conduisait à une grosse maison du même nom située près d'un gué permettant de traverser le fleuve.

En face de l'église de Bonsecours, et près du ruisseau de Brichambeau qui marque la limite avec Jarville était bâtie une «Folie» sorte de maison de campagne. C'est dès 1816 que l'ancien couvent des missions jouxtant l'église de Bonsecours avait été transformé en filature.

 

De la limite du département de la Meuse à Liverdun :

Sur une longueur de trente kilomètres et ses chutes à racheter (dénivelé) de 49 m, il traversait en souterrain le coteau de Foug ainsi que le contrefort de Liverdun après avoir suivi la rive gauche de la Moselle, rivière qu'il franchit au pont canal de Liverdun.

Outre ses deux souterrains longs de 1 264 m, ses deux ponts - canaux (respectivement de 12 m et 130 m d'ouverture) il comportait 18 écluses, 9 gares de stationnement, 12 ponts surélevés, 8 ponts fixes, 1 pont mobile et 24 aqueducs pour son alimentation en eau.

De Liverdun à l'embranchement du Sanon à Dombasle.

Long de 30 km avec ses chutes à racheter de 9 m, il quitte l'écluse de Liverdun, suit la rive droite de la Moselle jusqu'à Frouard puis il se soutient de niveau sur la rive gauche de la Meurthe jusqu'à Jarville où se termine le grand biez de Nancy long de 17 km.

Cette portion comporte 35 aqueducs, 3 ponts canaux dont un sur la Meurthe à Art-sur-Meurthe de 90 m d'ouverture, 19 ponts fixes, 3 ponts mobiles, 2 ponts sur écluses, 3 écluses, 12 gares de stationnement ou de retournement deux prises d'eau.



Il fut estimé que la valeur des terrains bordant le canal serait multipliée par 10.

Le chantier était immense «les ouvriers de tous les métiers se formaient», le creusement de souterrains et tranchées permirent l'ouverture de sablières, de carrières, la découverte de pierres de qualité.

Avec la mise en navigation du canal la construction du chemin de fer allait être favorisée et accélérée.

Le projet de jonction de la Saône à la Moselle et la Meuse par un canal est mis à l'étude.

Toujours grâce à la ténacité de Charles Etienne Collignon, le tracé de la ligne de chemin de fer de Paris à Strasbourg par Nancy et Lunéville est adopté par la loi du 11 juin 1842. Une lutte vive s'était engagée sur la direction à donner à ce chemin de fer, le département de la Meurthe à fini par triompher.

Thèse controversée d'où dépend le salut ou la perte de l'avenir de la cité, et qui doit en tout cas influer considérablement sur son état présent. Le corps municipal fut heureux de posséder dans son sein, monsieur Ch. E. Collignon ingénieur en chef et député dont les connaissances spéciales et le talent surmontèrent beaucoup de difficultés soulevées à cette occasion.

Il sut aussi faire partager à la chambre des représentants, ses convictions pour l'achèvement du canal de la Marne au Rhin dont les sinueux contours sillonnent notre territoire.

Il avait été d'abord envisagé que la ligne passerait entre la ville et le canal, cette option fut vite abandonnée, en raison de l'étroitesse de l'espace, au profit du site que l'on connaît aujourd'hui à l'emplacement de l'ancien étang Saint Jean.



La construction du canal de la Marne au Rhin à Nancy

La décision d'entreprendre la réalisation du canal de la Marne au Rhin fut prise après de longs débats qui s'échelonnèrent entre 1830 et 1840.

À cette date l'état réalise les acquisitions de terrains entre le faubourg des Trois Maisons et Jarville.

Le tracé retenu permet sans trop de levées de réaliser un seul bief entre Champigneulles et Jarville.

Les gares de stationnement et de retournement sont établies à proximité des grandes voies de communication:

- le port de Malzéville, à proximité de Crône et du port sur la Meurthe.

- les ports de Sainte Catherine et Saint Georges de part et d'autre de la route de Château Salins aux portes de la ville.

- le port de Bonsecours près de la route nationale Nancy-Strasbourg, et de la route d'Epinal.

Ce vaste chantier dura une dizaine d'années. En réalité il y avait plusieurs chantiers : terrassement et creusement du canal proprement dit, construction d'aqueducs, amenée d'eau, drainages, construction de ponts tournants, suspendus, passerelles diverses, détournement des égouts avec siphon, écluses, quais de déchargement etc. ..

Il y eut bien sûr des incidents qui retardèrent les travaux :

- en 1845 de fortes infiltrations sont signalées dans les pépinières de monsieur Jacquemin à Malzéville.

 

Charles E. COLLIGNON

Ingénieur

1802 - 1885

COLLIGNON (Charles-Etienne) Né à Metz le 16 mai 1802, il entra en 1821 à l'Ecole polytechnique d'où il sorti dans le corps des ingénieurs des Ponts-et-Chaussées. Il fut nommé ingénieur en chef de la 2ème section du Canal de la Marne au Rhin et à ce titre fut maître d'oeuvre du tracé de cet ouvrage à Nancy.

Par la suite il fut chargé du tracé de la ligne de chemin de fer de Paris à Strasbourg. Il défendait l'option, finalement retenue en 1842, de faire passer l'ouvrage par Nancy et Lunéville. Après avoir étudié un premier projet entre le canal et la ville, il abandonna cette option qui ne permettait pas un grand développement de la gare au profit de la solution actuelle à l'ouest des anciens remparts de Nancy.

En 1845, il fut élu député pour l'arrondissement de Sarrebourg et réélu jusqu'en 1848. Inspecteur général des Ponts en 1854, il fut appelé, trois ans plus tard, en Russie pour créer et diriger les chemins de fer impériaux. Conseiller d'Etat en 1872, il mourut à Paris le 6 décembre 1885, sans postérité. Il était commandeur de la légion d'honneur (1867). On lui doit de nombreuses études sur les chemins de fer et les canaux, notamment : rapport fait au Conseil municipal de Nancy sur le tracé du chemin de fer de Paris/Strasbourg, 1841 ; Du concours des canaux et des chemins de fer et de l'achèvement du canal de la Marne au Rhin, 1845.



La mise en eau définitive commence en 1849.

Peu de temps après la mise en eau des bassins St Georges et Ste Catherine, la digue se rompt au «château Grignon» (ancienne usine à gaz) inondant les chantiers de bois installés entre le canal et la Meurthe.

L'ouvrage ayant coupé en long l'espace entre la ville et la Meurthe, les nécessités de circulation entraînent la création de chemins d'exploitation comme en 1846 celui qui allait devenir la rue Oberlin pour relier à nouveau la route de Metz et le pont de Malzéville aux Grands Moulins.

Très rapidement des activités s'installent sur les deux rives en particulier les dépôts et commerces de bois et houille, d'où la nécessité impérative de remblayer les terrains, de combler les mortes comme celle du pont Cassé en 1851. Un incessant trafic de chariots de pierres allait traverser la ville en provenance des carrières situées à Vandoeuvre, Laxou, Boudonville. Devant ces nuisances, les voies étaient défoncées, le maire de Nancy prit un arrêté réglementant les trajets et les portes à emprunter par les transports de remblais suivant leur provenance et leur destination.

Le nombre restreint de pont sur la Meurthe se faisant sentir, en 1842, Monsieur le Baron Buquet, qui deviendra maire de Nancy sous le second Empire, entreprend à ses frais la construction du pont de Tomblaine. Il sera à péage jusqu'en 1896 date à laquelle il fut racheté par la ville.

Parallèlement à la construction du canal et à l'établissement progressif sur ses rives, de nombreux établissements industriels, un deuxième chantier plus important encore pour le devenir de la ville allait s'ouvrir sur notre territoire, la création des chemins de fer.



En 1850, la ligne Nancy-Frouard est ouverte à la circulation, une gare provisoire de voyageurs est installée ainsi que la gare des marchandises, quelques mois plus tard la ligne permet d'atteindre Commercy.

En 1852, la ville de Sarrebourg est reliée à Nancy, alors que le creusement du tunnel de Lutzelbourg est en bonne voie d'achèvement.

En 1854, les ateliers ainsi qu'une rotonde pour les locomotives sont construits au faubourg St Jean.

En 1856, la gare de voyageurs que nous connaissons encore aujourd'hui, oeuvre de l'architecte Châtelain, est inaugurée.



On considère qu'en 1855 la canal de la Marne au Rhin est achevé au moment où la métallurgie se déplace de la haute Marne vers le coeur de la Lorraine.

En 1866 il est relié à la Sarre par le canal des «Houillères».

En 1878 la Meuse canalisée, et le canal de la Moselle à la Saône précèdent l'essor de la grande sidérurgie. Il faudra attendre 1932 pour voir naître le canal des «mines de fer de la Moselle» de Metz à Thionville pour relier la Lorraine annexée de 1870 à 1918, au seul canal est-ouest. Cette liaison (comme la canalisation de la Meuse), arrivée trop tardivement, sera vite concurrencée par le chemin de fer dont elle ne deviendra qu'un auxiliaire.


LE CANAL DE LA MARNE AU RHIN A NANCY

L'intérêt du canal que défendait avec tant d'ardeur Charles Eugène Collignon lorsqu'il se battait pour ce projet, se trouve amplifié par la réalisation de la ligne de chemin de fer Paris/Strasbourg.

Tout l'avenir de Nancy s'est joué dans ces deux ouvrages. Sans la pugnacité de l'ingénieur en chef, député, notre ville ne serait encore aujourd'hui qu'une petite préfecture de département à l'image de ces cités dont les élus, dans la première moitié du XIX° siècle, n'ont pas mesuré l'importance du développement des communications. Un seul exemple : la ville d'Alençon dont les édiles ont refusé le chemin de fer (la ligne Paris/Brest) au profit de la ville du Mans qui elle s'est considérablement développée et qui compte de nos jours une population dix fois supérieure.

À Nancy tous croyaient au développement engendré par les communications.

La ville tout d'abord, qui de 1839 à 1842, construit ses abattoirs à proximités de la porte Ste Catherine, avec le marché aux bestiaux en face de la Pépinière. C'est l'époque où le chemin de fer devait passer entre la ville et le canal. Par la suite les troupeaux d'animaux qui arrivaient par le train devaient traverser la ville au petit matin créant de sérieuses nuisances au point que l'on envisagea rapidement une voie de raccordement de l'abattoir à la gare. Prosper Morey, l'architecte de St Epvre, étudia le projet d'un souterrain reliant la gare au Faubourg Ste Catherine.


Les abattoirs de Nancy


En 1876 la création du chemin de fer de ceinture de Champigneulles à Jarville allait régler ce problème et du coup entraîner le déplacement des abattoirs sur le boulevard d'Austrasie.

De part et d'autre du canal de nombreuses industries et chantiers allaient s'installer.

Les dépôts de bois pour le chauffage et la construction ainsi que les scieries étaient particulièrement nombreux.

Vers 1880 on en compte pas moins d'une bonne dizaine sur la rive est dont la scierie Harztfeld et Cie qui fut la plus importante, et huit sur la rive ouest vers la ville.

Les dépôts de houille furent aussi nombreux : le charbon était avec le bois le principal combustible destiné au chauffage.

L'installation de la première usine à gaz rue du Tapis Vert allait en renforcer les besoins. Elle était reliée directement aux quais du canal Ste Catherine par un transporteur mécanique et par un chemin de fer à wagonnets. L'annexe de l'usine à gaz rue Charles de Foucault se développa plus tard pour répondre aux besoins croissants des habitants et de l'industrie.



Les tanneries, qui existaient depuis longtemps au faubourg Ste Catherine, avaient été très perturbées par le creusement du canal qui avait coupé en deux leur quartier. Elles subsistaient néanmoins, malgré la construction d'établissements industriels plus modernes. Toujours lié au bois, une usine de fabrication de produit tannique avait tout naturellement trouvé sa place le long du canal; elle se trouvait près du pont de Malzéville.

Au droit de la Pépinière, hormis le marché au bestiaux et les tanneries, les terrains demeurent en jardins d'agrément. Entre le canal et la Meurthe, la cité Agricole allait conduire à la création d'un habitat populaire, devenu une nécessité au vu du nombre d'emplois qui s'étaient développés sur le quartier.

Le Dr Grandjean attacha son nom à ce quartier ouvrier avec ses jardins et ses petites maisons.

À l'angle nord du parc public, la ville construisit une glacière.

Avant l'invention et le développement du compresseur permettant la fabrication artificielle de la glace, l'usage des glacières était universellement répandu. Il s'agissait d'une vaste chambre aux murs épais, très souvent voûtée et semi enterrée que l'on remplissait en hiver, par une ouverture pratiquée sur le dessus, de neige et de glace pilée, le tout était comprimé. Il était ainsi possible de conserver de la glace jusqu'à l'hiver prochain.

À Nancy il y en avait plusieurs, quelques unes sont connues comme celles qui se trouvaient à l'entrée de la Pépinière près du bastion de Vaudémont, ou rue St Bodon dans le parc public.



La glacière du canal était importante par son volume, elle était adossée aux remblais du canal, son chargement par le dessus rendu facile, car à peine au dessus du niveau du quai d'où il était aisé de récolter la glace en hiver.

La rue du faubourg Ste Catherine (rue Bazin) franchissait le canal, à l'entrée des ports, par un pont tournant, une passerelle fut construite en 1876 tant le trafic des péniches était important et le flux des passants, essentiellement ouvriers du secteur était dense. Cette même année, le pont suspendu des Tiercelins était pour les mêmes raisons remplacé par un pont fixe qui existe encore aujourd'hui et une passerelle relia l'allée centrale de la Pépinière au quartier de la Cité Agricole.

Le Faubourg St Georges, c'est à dire tout le quartier situé hors la porte sur les rues du Tapis Vert, des Jardiniers, de l'Ile de Corse, se développa et se transforma. Des commerces que l'on appellerait aujourd'hui de proximité, s'ouvrirent.

L'entrepôt de vin en gros qui deviendra les «Docks Vinicoles» sera le plus important de la région. Sur l'autre rive du port St Georges s'installèrent les docks et entrepôts Nancéiens (Sanal) dont les bâtiments ont disparu il y a quelques années pour laisser la place au «jardin d'eau» sur le quai et juste à côté était établi le service des bateaux à vapeur.

De part et d'autre des bassins s'élevaient des grues roulantes et transporteurs divers.

Avant la construction de l'usine électrique et près du pont des Tiercelins dans l'angle formé par la rue du Tapis Vert, il y avait une scierie, et des entrepôts de houille et de bois de chauffage. Au delà de la rue s'élevait le pensionnat St Joseph, première école d'apprentis ouverte par Henri Loritz. Sur l'autre rive, une briqueterie et des fours à chaux s'établirent pour profiter de la proximité du canal, au moment où l'ancienne briqueterie St Jean située près du Bon Coin à la limite de Villers fermait après plusieurs siècles d'exploitation.

Un premier dépôt de pétrole fut construit à l'entrée de la rue Victor Hugo (aujourd'hui F. Guinet) sur un terrain qui quelques décennies plus tard allait devenir un important dépôt de carburant, et le principal entrepôt des Coopérateurs de Lorraine.



Entre le boulevard Lobau (ouvert en 1874) et le canal sur un parcellaire oblique (parallèle à l'avenue du XX° Corps) se succédaient jardins et dépôts de houille, de bois de chauffage et de construction, scieries et entreprises du bâtiment.

Le pont de Tomblaine, sur la Meurthe, a été racheté en 1897 par la ville de Nancy. Il avait été construit pour remplacer le bac qui franchissait le fleuve en amont de la baignade fort prisée des nancéiens au début du XIXème siècle. Il était l'oeuvre des ingénieurs Jaquiné et Duhoux et de l'entrepreneur Solet. Il a été réalisé sous le règne de Louis Philippe à l'initiative du baron Buquet. La réalisation du pont entraîna celle de la rue de Tomblaine, au milieu de la prairie du même nom. C'est à proximité que se développa un des quartiers les plus étonnant et les plus pittoresques des faubourgs.

Dans les années 1880, la Prairie s'appelait cité Tropmann où l'on arrive sitôt le canal franchi :

«Des chantiers remplis de planches, des monceaux de coke, de houille, des piles de briques s'alignent dans les environs du chemin de fer de ceinture.

Puis s'allonge la longue rue de la Cité, avec ses maisons de bois, ses vieilles baraques entourées de petits jardinets malingres, ses haies poussant à la diable, couvertes de la poussière du chemin et de pièces de linge séchant à l'air.

Des mortes aux eaux dormantes apparaissent entre les cahutes. Certaines façades portent des enseignes bizarres, simples planches non rabotées, aux inscriptions barbouillées avec du noir à sabots :

- Madame X ... sage-femme, tire les dents et va t'en ville

- Ici on raccommode la chaussure proprement

- Eau de Cologne au détail

- Pommade pour les cheveux

- Rempaillage et cannage de chaises.

Les cabarets ne manquent pas. Ils ont leur enseigne parlante, une branche de sapin desséchée clouée au mur : Vin, bière, eau-de-vie - café au lait ...

Quelques uns ont le luxe d'une tonnelle de vigne-vierge dont les larges feuilles, pourprées par les premières bises, cachent les buveurs.»

Beaucoup d'alsaciens-lorrains ont élu domicile dans la Prairie de Tomblaine après 1870. Cette colonie d'artisans des pays annexés changea l'aspect de ce quartier. Tout à coup on y entendit le patois alsacien du côté de Strasbourg, Colmar, Riquevihr; On y entendit furieusement «hacher la paille».

Et les anciens de la Prairie donnèrent aussitôt à ce coin nancéien le nom de Cité Tropmann, une appellation populaire à laquelle on aurait tort d'attacher la moindre signification lugubre.


Toute cette population est composée de travailleurs, des chargeurs de bateaux, des portefaix, des balayeurs, des chiffonniers, des gens allant «turbiner» dans les chantiers et usines des alentours ...

Ainsi s'exprimera X. de Montépin dont l'oeuvre se déroula en feuilleton dans le Patriote de l'Est, le Progrès de l'Est, la Gazette, l'Espérance, l'Echo Lorrain et combien d'autres.

L'oeuvre de Montépin était écrite à la diable, à la manière des feuilletonistes du temps. Quelques romans furent écrits sur des sujets nancéiens ou dont l'action se passe à Nancy. En réalité, l'auteur de la Cité Tropmann, X. de Montépin cache un pseudonyme collectif de plusieurs étudiants de l'Académie de Nancy.

Au delà de la rue Molitor, le canal puis le chemin de fer de ceinture ont coupé l'ancien chemin des Sables, qui comme son nom l'indique traverse les alluvions sablonneuses qui entourent les mortes entre le canal et le fleuve, dont le tracé primitif venait longer le port de Bonsecours.

Ce n'est que beaucoup plus tard que les sablières furent exploitées systématiquement puis comblées pour aboutir au lit actuel dans la première moitié de ce siècle.

En 1904, 12 000 mètres carrés de terrains furent acquis pour l'oeuvre «d'assistance par le jardin». Tout ce quartier compris entre la rivière, la route de Tomblaine et le chemin de fer de ceinture devint un étrange village exotique avec beaucoup de maisonnettes en planches, semées au hasard au milieu de jardinets minuscules.

Le port de Bonsecours dut son essor à la présence sur un de ses quais du chemin de fer de ceinture, il fut vite entouré de vastes dépôts de bois, de houille et de matières premières.

À la limite de Nancy et de Jarville s'établirent au milieu des jardins maraîchers une importante filature.



Le Halage

De Paris à Strasbourg, sur une distance de 520 km il y avait 141 écluses, le voyage durait 184 heures et 15 minutes ou 18 jours ½ en vitesse ordinaire.

Ce temps pouvait être ramené à 9 jours en adoptant la vitesse par relais et à 6 jours en vitesse accélérée.

Le halage à col d'homme

Avant la généralisation de l'automoteur, le halage était le seul système de déplacement des péniches.

Le halage humain fut le plus utilisé jusque vers les années 1920.

Il était plus économique que la traction animale qui nécessitait au moins deux hommes, l'un à la barre, l'autre conduisait les chevaux qu'il fallait acheter ou louer, nourrir et entretenir en les logeant à bord.

Le travail de halage s'appelait «faire la bricole».

La traction s'exerçait à l'aide de cordes, nommées «fintreilles ou sangles de poitrine, en chanvre ou en cuir» et une sorte de harnais qui donnaient aux «haleurs» une position et des gestes particuliers dont une sculpture du pont Brant/Kennedy à Strasbourg donne une image saisissante. L'homme à l'avant du bateau sur le plat bord dirige la péniche et participe à l'aide de sa perche à la propulsion.

Il était fréquent que la femme et les enfants du marinier effectuent cette lourde tâche, parfois jusqu'à 12 h par jour à une vitesse de l'ordre de 2 km à l'heure.


Le halage animal

Il est réservé au «transport rapide», donc plus onéreux ; le cheval et le mulet remplacent petit à petit l'homme pour haler les bateaux, depuis le début du XXème siècle.

Les ardennais, et les boulonnais étaient les chevaux les plus utilisés en raison de leur force et de leur résistance à l'atmosphère humide. Les mulets du Poitou étaient particulièrement adaptés à l'attelage et leurs sabots moins fragiles.

Comme les chevaux des mines, les animaux de halage étaient voués à cette tâche qu'ils ne quittaient plus.



Les chevaux de labour ne savaient pas haler.

Le charretier, ou plus souvent l'épouse du marinier, conduisait les animaux sur le chemin de halage. Une écurie était aménagée avec pont mobile à l'arrière du bateau qui servait aussi d'aire de jeux aux enfants en bas âge.

Les charretiers «aux longs jours» conduisaient les chevaux de halage du lever au coucher du soleil (d'où l'expression). C'étaient des travailleurs indépendants, payés au kilomètre, ils se reposaient aux écluses. Les mariniers avaient leurs «réguliers». Certains mariniers embauchaient des charretiers, ils étaient nourris et logeaient dans l'écurie de la péniche.

Enfin, il existait un système de relais aux abords des écluses, organisé par des exploitants qui disposaient de leurs charretiers et leurs chevaux. Les équipages se relayaient d'un point à un autre, montant et avalant. Les écluses marquaient pour les hommes et bêtes le temps de repos, de nourriture et de rencontre.

La traction électrique

Dès 1933, le halage mécanique sur le canal de la Marne au Rhin s'effectue à l'aide de tracteurs sur pneumatiques, il est rendu obligatoire en 1939.

Cette date marque la fin des chevaux de halage.

Le métier de conducteur de tracteur était éprouvant par sa monotonie. Celui-ci emmenait sa bicyclette suspendue au tracteur ce qui lui permettait le soir venu de rentrer chez lui pour revenir au même endroit le lendemain matin.

L'automoteur

L'automoteur de gabarit Freycinet (38,5 m x 5,05 m) permet de naviguer sur les eaux françaises, sa vitesse en charge varie entre 6 et 11 km/heure.

L'automoteur se conduit depuis l'arrière, d'une timonerie surélevée et située sur la cabine, elle est démontable. Sa capacité est de l'ordre de 400 m3, soit l'équivalent de 10 camions de 38 tonnes. Sa généralisation a marqué la fin des péniches tractées.

Les écluses

L'écluse au gabarit Freycinet de 40 m x 5,20 m permet de passer du bief supérieur au bief inférieur (et inversement).

Au départ elles étaient manuelles et nécessitaient l'intervention de l'éclusier et des mariniers.

Elles furent petit à petit automatisées et l'éclusier responsable de plusieurs biefs se déplace en voiture sur le chemin de halage. Les écluses sont des repères, le temps et l'espace se calculent par rapport à elles.

Le temps d'une éclusée, les informations circulaient, les échanges et achats de produits, légumes, oeufs, viandes etc.. étaient effectués à proximité. C'est aux écluses que se font les rencontres, que les alliances se nouent.

Les mariniers avaient leur chapelle, il existait même des « péniches-chapelles ».

À Nancy les bateliers du culte évangélique avaient leur église au Port Aux Planches, elle fut fermée en 1900.




Bibliographie et sources :

- Le Département de Meurthe & Moselle par Henri LEPAGE
Nancy 1845
- Histoire de Nancy par Jean CAYON Nancy 1846
- Les Transformations de Nancy Nancy 1879
- Les rues de Nancy par D. & P. ROBAUX Nancy - Berne 1984
- Ces gens de l'eau par D. VOGELEISEN et
D. ALISE Strasbourg 1997
- L'immeuble et la construction dans l'Est (revue professionnelle) 1905
- Archives Municipales de Nancy
- Bibliothèque Municipale de Nancy
- Musée Historique Lorrain

Avril 1998 - B. JOUAUX - Architecte en chef (mairie de Nancy)

Mise en page : C. FOURCAULX - Technicien Territorial Chef (mairie de Nancy)

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